Il y a quelques mois, j’ai entrepris de récupérer le contenu de vieilles cassettes audio de projets datant de ma jeunesse. Malheureusement, je n’avais plus mon bon vieux baladeur Sony me permettant de lire et d’importer les données de ces cassettes. J’ai donc fait un appel sur les réseaux sociaux. Une personne, répondant au pseudo de Max, m’a proposé de m’en envoyer une gratuitement et à ses frais.
J’ai accepté, sans savoir que je signais là mon entrée dans un obscur mystère.

En 1963, le produit phare était la cassette audio, présentée par son créateur, l’ingénieur néerlandais Lou Ottens.

De son vivant, les cassettes ont révolutionné les habitudes en matière d’écoute de musique, jusqu’alors limitée au disque vinyle, beaucoup moins maniable. Soudain, grâce aux autoradios et au légendaire baladeur Sony, il est devenu possible d’écouter de la musique de façon individuelle ailleurs qu’à la maison. En outre, le fait de pouvoir réenregistrer plusieurs fois sur le même support a permis aux amateurs de musique de créer et faire circuler leurs propres compilations. À l’apogée de sa popularité en 1989, la cassette se vendait à 83 millions d’exemplaires par an rien qu’au Royaume-Uni.

Bien que détrônée par la suite, d’abord par le CD puis par les fichiers numériques (MP3 et MP4), la cassette conserve une place particulière dans l’histoire de la technologie audio, les compilations étant les ancêtres des playlists et le baladeur, le précurseur de l’iPod.
De plus, bien que jugée esthétiquement et matériellement inférieure au disque vinyle, inventé avant elle, la cassette audio connaît une forme de résurgence. Pour des raisons sentimentales, mais aussi parce qu’avec l’annulation des concerts elle permet aux artistes les moins connus de tirer des revenus de leur travail.

La cassette, obsolète ? Rien n’est moins sûr. Il y a la nostalgie, mais pas que. En 2020, ses ventes ont explosé de plus de 90 % au Royaume-Uni.

Quel est le point commun entre le dernier album de Lana Del Rey ou celui du groupe français Indochine ? Ils sont sortis sur un format que l’on croyait à tout jamais disparu : la cassette audio, la bonne vieille bande magnétique qu’on pouvait rembobiner avec un crayon. Un objet culte, qui sent bon la nostalgie des années 1980. Il n’existe plus que deux usines de cassettes audio dans le monde, dont une en Normandie.

Après avoir poussé des milliards de consommateurs à racheter toute leur discothèque sur CD, au prétexte que le son était plus « performant », après avoir imposé cet objet assez laid, au livret bien moins lisible et aux pochettes d’époque massacrées par le reformatage, l’industrie du disque rejoue donc le match à l’envers. Ce sont les classiques des Beatles ou de Bowie qui se vendent le plus en vinyles tandis que les cassettesbénéficient d’un effet polaroïde, promouvant le charme si cool du vintage.

Voir l’esthétique vinyle et dans une moindre mesure la démocratique cassette prendre leur revanche a quelque chose de réjouissant, comme une réparation de l’Histoire. Mais le CD zombie pourrait bien revenir ! Car c’est sur ce support que sont sortis nombre d’albums à la fin des années 90 qui n’ont pas leur équivalent en cassette ou vinyle. Le CD vivra donc à son tour, et vit déjà sur certains sites, son stade de mort vivant «collector ».

Au final, l’observation de ce <crépuscule des supports physiques dont je parlais tout à l’heure, nous conduit à une conclusion, la dématérialisation totale de la musique n’adviendra pas. D’une part parce que les marchands de l’industrie trouveront toujours un nouveau vieux support à vendre, d’autre part parce que, comme chez Beckett, l’homme a besoin de se raccrocher à sa dernière bande.